Communication visuelle : le piège de la peur de stigmatiser.
« Une image vaut mille mots », disait Confucius. Encore faut-il qu’elle dise les bons, en particulier lorsqu’elle touche à des sujets sensibles.
Récemment, le ministère de l’Intérieur a publié un visuel pour « lutter ensemble contre les rodéos » urbains. Une initiative légitime, sur un sujet sérieux. Mais le visuel a rapidement déclenché une vague de critiques… non pas à cause du message, mais à cause de la manière dont il a été illustré.
Une image critiquée pour son décalage avec la réalité
Sur le visuel, on voit un homme blanc, en scooter, effectuant une roue arrière. Ce choix a été largement critiqué, aussi bien par des internautes que par des responsables politiques et même un syndicat de police.
Beaucoup y ont vu un décalage avec la réalité du phénomène, qui, selon les témoignages et les remontées de terrain, concernerait majoritairement des jeunes issus de quartiers sensibles, souvent d’origine maghrébine et/ou africaine.
Dès lors, le visuel a été perçu par une partie du public comme un refus d’assumer la réalité, au nom d’une volonté (compréhensible) de ne pas stigmatiser.
Allô @Interieur_Gouv ☎️
— Officiers et Commissaires de police (@PoliceSCSI) May 4, 2025
Si vous avez besoin de conseils pour votre visuel concernant la lutte contre les #rodéos, on peut vous aider.
C’est un peu éloigné de la réalité à laquelle sont confrontés quotidiennement nos collègues policiers. 😉 pic.twitter.com/jYRadXO6QH
Quand l’image perd en impact
Ce cas soulève une question centrale dans toute communication visuelle : doit-on montrer la vérité, ou préférer une représentation édulcorée pour ne pas heurter ?
Dans ce cas précis, le choix d’un visuel « neutre » a paradoxalement créé une polémique, car jugé déconnecté. Résultat : une perte de crédibilité du message. Le fond (lutter contre les rodéos urbains) est éclipsé par la forme (le choix de l’image).
Aurait-il fallu mettre un homme à la peau bronzée ou noire ?
Ça aurait fait un plus gros tollé ?
C’est là toute la difficulté de la communication visuelle : comment représenter sans stigmatiser ? Comment illustrer sans caricaturer ? Peut-on pour autant insinuer qu’il n’y aurait que des personnes noires ou maghrébines qui pratiquent ce type de rodéos ? La question dérange, mais elle révèle une tension bien réelle. Et si ça avait été le cas, le tollé aurait sans doute été encore plus fort. C’est toute la complexité de la communication visuelle : elle ne peut jamais plaire à tout le monde.
Et ce n’est pas une première. Dès qu’une image semble trop « neutre », trop éloignée du vécu collectif (campagnes de pub contre les incivilités dans les transports…), elle provoque la méfiance, elle est critiquée pour le message visuel jugé modifié, atténué… Le public, de plus en plus attentif aux détails, perçoit immédiatement ce qui sonne faux, même si l’intention était bonne.
On adore l'illustration sur le site gouvernemental Luttons ensemble contre les #rodéos. Un étudiant d'HEC ? Un cadre de la finance ? Un Versaillais des années 1960 ? https://t.co/mt1odpv4iZ pic.twitter.com/IuUZ1YYJBg
— Marc Baudriller (@BAUDRILLER) May 3, 2025
La responsabilité de la représentation
En tant que graphiste, cette situation me parle. Créer un visuel, ce n’est pas seulement illustrer un message, c’est aussi choisir ce qu’on montre… et ce qu’on ne montre pas. Et dans certains contextes, ce choix peut être lourd de sens.
Doit-on (peut-on) lisser la réalité pour ne pas froisser ? Risque-t-on de nous le reprocher ? À quel moment l’écart avec le réel finit-il par trahir le message ? Comment jongler entre parti pris, neutralité, peur de stigmatiser… ? Et surtout : à partir de quand une image « neutre » finit-elle par brouiller ou affaiblir le discours qu’elle est censée porter ?
Ce sont des questions que toute personne travaillant dans la communication visuelle devrait se poser.
Même si, bien souvent, on ne fait qu’exécuter une commande, sans toujours avoir notre mot à dire.
Cette campagne anti rodéos, très décriée, perçue comme le résultat d’une peur de stigmatiser, entre aussi en contraste avec un autre phénomène largement commenté par le grand public : celui d’une inclusion perçue comme forcée et d’une diversité jugée omniprésente dans les illustrations institutionnelles, commerciales ou éducatives. Là où certains saluent une volonté d’ouverture, d’autres dénoncent une représentation qui semble artificielle, parfois déconnectée du réel. Ce décalage nourrit un climat de méfiance générale, où chaque image devient un objet de débat.
