Communication visuelle : quand éviter la stigmatisation crée (encore) le tollé
On aurait pu croire que le ministère de l’Intérieur avait retenu la leçon. Après le tollé autour du visuel anti-rodéos, mais voilà qu’une nouvelle campagne de la Préfecture de Police, fait parler d’elle. Cette fois, le sujet, ce sont les vendeurs à la sauvette. Et visiblement, on prend les mêmes mécaniques et on recommence.
(màj : La Préfecture de Police a supprimé la campagne).
Une communication qui se pense prudente, mais produit l’effet inverse
Comme souvent dans les campagnes publiques récentes, le ministère tente d’échapper aux accusations de stigmatisation et de racisme, en inversant les codes attendus. Ici, on évite de montrer un vendeur d’origine subsaharienne ou nord-africaine, ce qui correspond pourtant à la réalité, aux profils les plus visibles dans les grandes zones touristiques et ce n’est pas raciste de le dire. À la place, le visuel juxtapose un vendeur blanc au sourire exagéré, aux yeux écarquillés… et un acheteur qui, pour beaucoup de commentaires, semble issu de la diversité, des gens le décrivent comme typé maghrébin.
Vous vous moquez de qui?
— Ganneron (@Ganneron1) August 6, 2025
Vous voulez que je vous envoie des photos des vendeurs que je croise ts les jours à Troca?
Ils ne ressemblent pas du tt à ça! Vous induisez les touristes en erreur! En avez vous conscience ou est ce encore politique?
Marre de vos messages à sens unique.
Quand l’intention annule le message
Résultat : on ne nie pas le stéréotype, on le détourne. Mais dans le contexte actuel, ce type de renversement est immédiatement repéré, disséqué, commenté. Et comme pour la campagne précédente, ce qui ressort, ce n’est pas la lutte contre les pratiques illégales, mais la gêne suscitée par le traitement visuel.
Il n’en fallait pas plus pour déclencher une polémique
Sur les réseaux sociaux ça fuse dans tous les sens, les gens dénoncent une inversion jugée irréaliste et provocante. Malgré le précèdent tollé, la leçon ne semble pas avoir été retenue, les rôles sont de nouveau inversés pour le grand public.
Représenter, c’est choisir. Et chaque choix visuel raconte quelque chose, qu’on le veuille ou non. Dans une campagne officielle, ces détails prennent encore plus de poids. Qui est montré fautif ? Qui est montré exemplaire ? Ces questions reviennent sans cesse. Et quoi qu’on montre, on s’expose.
Ce genre de campagne finit souvent dans le même piège : la peur d’être accusé de raciste…. Tout le monde voit ce que la communication essaie de ne pas montrer, les gens se rendent comptent que ce n’est pas la réalité qu’ils voient tous les jours. Et à force de vouloir tout lisser, on rend l’image encore plus suspecte. On ne stigmatise plus frontalement, mais on alimente quand même les lectures ethniques. L’objectif d’apaisement est raté.
Ce que montre l’image, ce qu’elle évite
Les vendeurs à la sauvette sont malheureusement issus de milieux précaires. Beaucoup sont sans-papiers. D’autres travaillent pour des réseaux organisés. Certains font ça pour survivre. Ce n’est pas un secret, et ce n’est pas une insulte de le dire. Mais dans l’espace institutionnel, la réalité devient gênante dès qu’elle est identifiable.
Je découvre l'affiche de la préfecture de police de Paris contre les vendeurs à la sauvette de la Tour Eiffel. En tant qu’habitant du 16ème arr je m’y balade tous les jours. Cette affiche ne montre pas la réalité c’est clairement du racisme anti-blancs pic.twitter.com/FtSQj4M7nr
— Tony Pittaro (@TonyPittaro) August 6, 2025
Plutôt que de montrer cette triste réalité, on la transforme en scène déconnectée. Pas de bruit, pas de foule, pas de tension. Juste deux personnages qui se font face, comme dans un dessin éducatif. Mais le choix des visages, des attitudes, de la mise en page suffit à recréer le malaise que la campagne essaie justement d’éviter.
À force de vouloir éviter la stigmatisation, cette communication tombe dans un autre piège : celui de la dissonance. Le visuel contredit le message officiel. Et le public, lui, voit clair dans ce jeu-là. Ce n’est pas la première fois. Ce ne sera probablement pas la dernière. Mais à chaque nouvelle affiche, le même constat revient : éviter de représenter un problème tel qu’il est ne le fait pas disparaître. Ça ne fait que brouiller les lignes. Et provoquer, encore, le tollé.
Qu’aurait-il fallu faire ?
Montrer la réalité du terrain, avec un vendeur à la peau noire ? Mais on sait très bien que ce choix aurait déclenché une polémique encore plus massive, avec des accusations de racisme et un énorme emballement médiatique et populaire. C’est précisément ce qui pousse les équipes de communication à contourner le sujet, quitte à produire des visuels qui ne reflètent plus la réalité. Le problème, c’est qu’en cherchant à éviter la critique, elles s’exposent à un autre reproche : celui de mentir aux yeux du public.
