Communication visuelle : quand l'organisme public se paie la tête de l'Histoire

On pourrait croire qu’à force de controverses, les communicants du secteur public auraient appris à naviguer les eaux troubles des réseaux sociaux. Après les polémiques récurrentes sur la peur de stigmatiser dans les campagnes anti-rodéos ou le tollé similaire sur les vendeurs à la sauvette, voici qu’une nouvelle agence gouvernementale se retrouve au centre d’une violente tempête : l’organisme Cybermalveillance.gouv.fr.

Le sujet est noble : sensibiliser à la cybersécurité avec le « Cybermois 2025 ». L’idée, audacieuse : revisiter des faits historiques emblématiques pour illustrer des bonnes pratiques. Cette campagne, baptisée « Histoire de Cyber », cherchait sans doute l’originalité et la viralité. Elle a trouvé la foudre.

L’intention qui dérape

Le concept est malin, sur le papier. Utiliser des figures ou des événements historiques pour rendre la cybersécurité plus accessible. Mais le choix d’intégrer Jeanne d’Arc dans cette galerie s’est révélé être une erreur stratégique monumentale.

Le visuel, qui détourne une icône tutélaire de l’Histoire de France, est accompagné d’une phrase qui a mis le feu aux poudres : « Jeanne d’Arc n’aurait pas fini sur le bûcher si elle avait utilisé un pare-feu. » Pour le public, le message est immédiat et cinglant : l’irrespect le plus total.

L’analogie, censée être un trait d’esprit pour illustrer la fonction du « pare-feu » informatique, se révèle d’une maladresse historique et humaine insupportable. Elle trivialise le martyre d’une figure nationale majeure, réduisant un événement tragique et politique de l’Histoire de France à une simple erreur de configuration numérique.

Comme en témoignent les réactions outrées sous les publications du compte officiel sur 𝕏, la virulence des commentaires est proportionnelle au statut de l’icône historique. Les gens ne débattent plus de l’importance d’utiliser un logiciel de protection. Ils s’indignent de la désinvolture avec laquelle l’État manipule la mémoire.

Le piège de la désacralisation

À force de vouloir créer une communication qui « parle aux jeunes » ou qui génère du « partage » en revisitant des mythes, on court le risque de la désacralisation. Et quand on touche à l’Histoire de France, et plus particulièrement à une figure aussi chargée de symboles que Jeanne d’Arc, l’institution s’expose à un rejet massif.

On retrouve ici la mécanique déjà observée dans d’autres campagnes. Qu’il s’agisse de la peur de stigmatiser, sur les rodéos urbains, plus récemment d’éviter l’accusation de racisme sur les vendeurs à la sauvette, ou ici de la volonté d’être astucieux et mémorable, le résultat est le même : le fond du message est totalement éclipsé par la polémique de la forme.

Les communicants, en cherchant à éviter l’ennui ou l’académisme, tombent dans le piège de la provocation involontaire. Ils voulaient sensibiliser à la sécurité numérique. Ils ont réussi à enflammer un débat sur le respect des figures historiques et la pertinence de l’État dans son rôle de gardien de la mémoire collective.

Un constat d’échec récurrent

Le problème central de ces communications publiques réside souvent dans un excès de prudence couplé à une quête d’originalité forcée. D’un côté, on évite soigneusement de montrer la réalité pour ne pas stigmatiser. De l’autre, on surjoue la modernité en bousculant des icônes pour générer du contenu.

Dans le cas de la cyber sécurité, un message simple, clair, pédagogique, aurait été plus efficace. Mais en choisissant la voie de l’allégorie historique audacieuse, et surtout avec cette phrase choc, le gouvernement a créé une dissonance insupportable pour une grande partie du public.

Quand la communication visuelle d’un organisme d’État crée l’impression de manquer de respect à l’Histoire pour un simple mot de passe, l’échec est total. Le seul message qui passe est l’incompréhension et la colère. Encore une fois, la polémique visuelle a pris le pas sur la prévention, prouvant que, parfois, le plus grand risque pour un organisme public n’est pas la cybermalveillance, mais une mauvaise stratégie de communication.